Les sites SEVESO sont exposés à un risque sous-estimé : l’inondation.
Les crues rapides peuvent transformer un aléa naturel en accident industriel majeur, avec perte de confinement et diffusion de substances dangereuses.
En Europe comme en France, la directive SEVESO III et le Code de l’environnement imposent désormais d’intégrer ces scénarios hydrologiques dans les études de dangers et les plans d’urgence.
À travers des retours d’expérience récents (France, Italie, Royaume-Uni) et une grille technique de seuils à surveiller, cet article détaille comment une approche anticipative et basée sur la donnée hydrologique peut renforcer la résilience des sites sensibles.
Les épisodes d’inondation se multiplient en Europe et dans le monde, amplifiés par le changement climatique. Au-delà des impacts humains et matériels, ces phénomènes naturels représentent un risque critique pour les sites classés SEVESO, c’est-à-dire les installations industrielles manipulant ou stockant des substances dangereuses.
Une inondation sur un site SEVESO peut avoir des conséquences en chaîne :
Perte de confinement : des produits chimiques ou pétroliers peuvent être relâchés dans l’environnement.
Dysfonctionnement des équipements de sécurité : pompes, vannes, systèmes électriques submergés.
Propagation des polluants : les eaux de crue transportent les substances toxiques bien au-delà du périmètre du site.
Impacts humains et réputationnels : risques pour les riverains, coûts économiques, atteinte à l’image de l’exploitant.
L’accident de l’usine AZF à Toulouse en 2001 n’était pas lié à une inondation, mais il reste dans les mémoires comme un rappel des dangers d’une perte de maîtrise sur de telles installations. Aujourd’hui, la combinaison entre aléas hydrologiques et présence de substances à risque est prise très au sérieux par les autorités.
En France comme dans l’Union européenne, la réglementation SEVESO impose aux exploitants d’identifier tous les scénarios accidentels possibles, y compris les risques naturels. Les Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) et les Plans de Prévention des Risques Inondation (PPRI) tendent de plus en plus à être articulés.
Cependant, la réalité montre que de nombreux sites n’ont pas encore intégré des données fines de prévision hydrologique dans leur analyse de vulnérabilité. Les crues rapides, les remontées de nappes ou les ruissellements urbains ou réactivation de vallée sèches constituent autant de menaces encore sous-estimées.
La maîtrise du risque industriel ne peut plus être pensée sans la dimension climatique et hydrologique. Les sites SEVESO, en particulier ceux situés à proximité de fleuves, de rivière fortement réactives ou de plaines inondables par ruissellement, doivent passer d’une logique réactive à une logique prévisionnelle et proactive.
Directive européenne 2012/18/UE (SEVESO III) : entrée en vigueur le 1er juin 2015, elle impose l’intégration des aléas naturels (inondations, séismes, tempêtes) dans l’évaluation des scénarios accidentels.
Transposition en droit français :
Code de l’Environnement – Livre V, Titre Ier (articles L.515-32 à L.515-36 pour les établissements SEVESO, et articles R.512-5 à R.512-46 pour les prescriptions générales).
Décret n°2014-285 du 3 mars 2014 : adapte la réglementation française aux nouvelles obligations SEVESO III.
Arrêté ministériel du 26 mai 2014 relatif aux études de dangers : précise que l’exploitant doit « démontrer la maîtrise des risques y compris face aux événements naturels susceptibles d’affecter l’établissement » (inondations, séismes, etc.).
Circulaire du 10 mai 2010 relative à la prise en compte des risques d’inondation dans les études de dangers (DGPR/SDRA/SEI1) : impose l’intégration des PPRI dans les analyses.
Ces textes obligent les exploitants SEVESO à croiser les données hydrologiques (PPRI, crues historiques, projections climatiques) avec leur analyse de risques internes.
Île-de-France, 2016 : crue du Loing ayant impacté une verrerie SEVESO seuil haut, nécessitant des mesures d’urgence pour maintenir les utilités (ARIA n°47943).
Héry (Yonne), 1998 : inondation de 12 cm d’eau sur le site Davey Bickford (SEVESO 2), ayant conduit à la mise en place d’un Plan d’Urgence Inondation (ARIA n°16755).
Ravenne (Italie), 2023 : inondation d’un parc industriel abritant 9 sites SEVESO, activation d’un comité d’urgence et suspension des productions (ARIA n°64250).
Royaume-Uni, 2013 : tempête + marée exceptionnelle, inondation d’installations de stockage souterrain d’hydrocarbures, endommagement massif des systèmes électriques et de contrôle (ARIA n°46146).
Pour une gestion opérationnelle, les sites SEVESO exposés à l’inondation devraient surveiller les indicateurs suivants :
| Indicateur | Seuil critique (à titre indicatif, à adapter localement) | Conséquence attendue | Actions recommandées |
|---|---|---|---|
| Débit de la rivière principale (m³/s) | 20–50 ans de période de retour | Risque de débordement localisé | Pré-alerte interne, vérification des stockages extérieurs |
| Niveau d’eau à proximité du site (m NGF ou cote altimétrique) | Approche des seuils PPRI (crue décennale/centennale) | Risque de submersion partielle | Activation du Plan d’Urgence Inondation |
| Pluviométrie horaire (mm/h) | >30 mm/h (pluie intense) | Ruissellements rapides, saturation réseaux pluviaux | Mobilisation équipes de crise, mise en sécurité zones sensibles |
| Pluviométrie cumulée sur 24–72h (mm) | >80–100 mm/24h (selon sols) | Crue torrentielle, montée de nappe | Surveillance renforcée, arrêt préventif de certaines unités |
| Niveau de nappe phréatique (m sous surface) | <1 m | Risque de remontée dans caves, galeries, cuves enterrées | Vérification des cuves, activation pompage |
| Prévisions marégraphiques (sites côtiers) | Marée + surcote > seuil de digues | Submersion marine | Protection des installations côtières, fermeture vannes |
Ces seuils doivent être adaptés en fonction :
des PPRI locaux ;
des caractéristiques topographiques ;
des données historiques de crues ;
et des vulnérabilités spécifiques de chaque site (équipements électriques, stockages, accès, etc.).
Intégrer les données hydrologiques temps réel et prévisionnelles dans les études de dangers et dans les indicateurs de suivi opérationnel du quotidien.
Définir des seuils opérationnels propres au site et les coupler à un système d’alerte automatique.
Mettre en place un Plan d’Urgence Inondation à afficher dans les zones dédiées du site.
Former les équipes à la gestion des crises hydrologiques (exercices avec scénarios d’inondation).
Associer les riverains et autorités locales pour garantir la cohérence entre PPRI et PPRT.
Les inondations représentent un aléa aggravant pour les sites SEVESO, susceptible de transformer un événement naturel en accident industriel majeur.
La réglementation européenne et française impose désormais une intégration systématique de ces risques, mais les retours d’expérience montrent que la vulnérabilité demeure forte.
Il relève de la responsabilité pénale des directeurs de sites de passer d’une logique réactive à une logique anticipative, fondée sur des données hydrologiques fines, des seuils opérationnels et une gouvernance intégrée des risques. Dans cette optique, les prévisions hydrologiques associées à un système d’alertes précoces peuvent utilement contribuer à assurer conformité et sérénité face au risque de crue – qui peut être mortel pour une entreprise, au même titre qu’un incendie.
Une meilleure anticipation des crues est donc non seulement un gage de sécurité environnementale, mais aussi un facteur de compétitivité pour les industriels !
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